Des quartiers populaires de Paris aux festivals internationaux: remarquée pour son premier long métrage, « Mignonnes », la réalisatrice française d’origine sénégalaise Maïmouna Doucouré exhorte les jeunes femmes noires en France à « faire tomber les barrières mentales » dans leur vie professionnelle.
Le film, qui sort en salles mercredi en France, dresse le portrait profond et sensible d’une petite Parisienne de onze ans, tiraillée entre les règles d’une famille sénégalaise polygame et la tyrannie des réseaux sociaux et des selfies.
Comme un écho au propre parcours de la réalisatrice de 35 ans, qui a grandi avec sa mère, femme de ménage et commerçante, son père éboueur, et l’autre épouse de celui-ci, entourée de neuf frères et soeurs, dans un quartier populaire du 19ème arrondissement de la capitale française.
Le cinéma, elle ne le découvre pas en salles, mais devant les films d’horreur des années 1990 qui passent sur le petit écran et qu’elle regarde, fascinée, avec ses frères.
« Petite, je me suis clairement interdit de rêver », dit aujourd’hui Maïmouna Doucouré, dont la mère avait expliqué que le cinéma, ce n’était pas pour elle, puisqu’on n’y voyait jamais de gens qui lui ressemblait. C’est-à-dire des femmes noires.
« Dans mon enfance, je manquais terriblement de modèles », poursuit-elle. « La télévision c’est une sorte de miroir de la société, mais moi, j’avais l’impression de ne jamais y voir mon reflet. C’est difficile ensuite pour ouvrir le champ des possibles et des imaginaires ».
Trois décennies plus tard, après un crochet par des études de biologie, Maïmouna Doucouré donne tort à sa mère, et commence à se croire « à (sa) place »: Elle sort son premier long-métrage, un film qui a reçu un accueil chaleureux dans des festivals internationaux.
Bilan: un prix à Berlin, après une première distinction pour sa réalisation au festival américain de Sundance. Cerise sur le gâteau, Netflix le distribuera hors de France. En recevant son prix aux Etats-Unis, Maïmouna Doucouré, longs cheveux noirs détachés, regard assuré et franc, se dit « plus féminine que jamais » et cite Oprah Winfrey: « On devient ce en quoi l’on croit ». Et de lancer: « Mesdames, croyons-y ! ».
– « Besoin de modèles différents » –
Alors que les questions de la diversité et de l’égalité hommes-femmes est plus brûlante que jamais dans le cinéma français, Maïmouna Doucouré, née en France de parents arrivés dans les années 1970 du Sénégal, se considère comme « une réalisatrice française avant tout. »
« Les choses avancent, j’ai cette sensation d’arriver au bon moment », se réjouit-elle, heureuse notamment de voir les institutions du cinéma en France se mettre à oeuvrer pour la diversité – même s’il reste beaucoup à faire.
Se défendant d’avoir voulu faire « un pamphlet social », cette fan du Britannique Ken Loach ou de l’Iranien Asghar Farhadi admire l’engagement de l’actrice Adèle Haenel (symbole d’un nouvel élan du mouvement MeToo en France). Elle garde le souvenir d’une manifestation à ses côtés, avec les proches d’Adama Traoré, ce jeune homme noir mort en 2016 en France après son interpellation par des gendarmes.
« On a besoin de modèles différents, de faire sauter les barrières grâce à la fiction. A partir du moment où on ouvre les imaginaires, dans la réalité, tout devient possible », juge Maïmouna Doucouré, qui a préparé « Mignonnes » enceinte de sa petite fille, et a fait « tout le casting avec elle en écharpe de portage ».
Maïmouna Doucouré « vient de nulle part », c’est « un symbole de la démocratisation du cinéma, elle n’avait pas du tout de prédisposition dans ce monde qui est avant tout un sport de riche », salue son producteur, Zangro, qui l’accompagne depuis le début, séduit par sa direction d’acteurs et « sa façon de parler la même langue que les enfants ».
La réalisatrice est aujourd’hui lancée dans l’écriture de deux autres films, dont l’un devrait rapidement entrer en tournage. « Quand les jeunes filles voient qu’on récolte 400.000 likes en faisant des selfies sexy, elles entrent dans un mimétisme sans vraiment en comprendre le mécanisme. il faut leur proposer d’autres parcours. Des femmes astronautes, présidentes de la République, ingénieures… » Ou bien cinéastes.