« Il m’aime bien, je l’aime bien ».
A la moindre occasion, Donald Trump met en avant sa « bonne alchimie » avec Kim Jong Un qu’il doit retrouver la semaine prochaine à Hanoï, huit mois après leur poignée de main historique de Singapour.
Mais en dépit des « magnifiques lettres » adressées au président américain par le leader nord-coréen, de plus de 30 ans son cadet, les avancées concrètes se font attendre.
Si aucun essai nucléaire ou balistique n’a eu lieu depuis plus de 400 jours, l’arsenal nucléaire de Pyongyang est intact. Et les experts rappellent à l’unisson combien les membres de la dynastie Kim, qui règne sans partage sur le pays depuis 1948, sont passés maîtres dans l’art de gagner du temps.
Faisant fi des critiques, le milliardaire républicain laisse entendre – sans jamais rentrer dans les détails – qu’il pourrait se passer de grandes choses et rêve à voix haute d’un prix Nobel de la paix.
Celui qui, en politique étrangère, a jusqu’ici surtout déconstruit (accord de Paris sur le climat, accord sur le nucléaire iranien) a pris l’initiative de manière spectaculaire sur ce front.
De fait, il s’est aventuré sur un terrain sur lequel aucun de ses prédécesseurs n’avait osé pénétrer: le face-à-face avec un dirigeant de la République populaire démocratique de Corée.
Le président septuagénaire semble convaincu que, sur cet épineux dossier, son style – atypique, direct, voire abrupt – peut faire mouche. Que son absence d’expérience diplomatique peut être un atout pour casser les codes. Que son goût revendiqué pour le face-à-face peut faire bouger les lignes avec un régime qui est l’un des plus secrets et les plus isolés au monde.
– « Pas pressé » –
Pour Michael O’Hanlon, de la Brookings Institution, les initiatives de Donald Trump, même si leur issue reste incertaine, ont créé « une possibilité de progrès » et méritent d’être saluées.
« Une combinaison de menaces et de force associée à l’espoir d’un avenir meilleur était peut-être le bon mélange de sentiments à instiller dans l’esprit de Kim », écrit-il.
« Que cela ait été fait par calcul ou par hasard, ou un peu des deux, Trump a réussi ce mélange en 2018 », ajoute l’analyste.
Pour l’heure, le locataire de la Maison Blanche reste évasif sur ce à quoi il espère aboutir au sommet à Hanoï, au Vietnam, vantant avant tout l’accalmie actuelle.
« Tant qu’il n’y a pas d’essais, je ne suis pas pressé », a-t-il martelé cette semaine dans le Bureau ovale.
Mais quelle sera sa stratégie sur les mois et les années à venir si, comme le redoutent certains observateurs, le régime de Pyongyang ne lâche rien de significatif ?
« Je pense que Trump fait le calcul qu’il peut gagner du temps avec cette stratégie au moins jusqu’à la fin de son mandat », explique à l’AFP Vipin Narang, chercheur au Massachusetts Institute of Technology (MIT).
– « Regarder au-delà de 2020 » –
Or pour Christopher Green, de l’International Crisis Group, la question du calendrier est centrale.
« L’inquiétude principale est que Trump ait trop envie de quelque chose qui ressemble en apparence à une avancée, mais qu’il ne fasse pas le travail de fond pour aboutir à un accord durable », souligne-t-il. « Il faut regarder au-delà de 2020, avoir 2030 ou 2040 comme horizon. »
Mais rien n’est acquis, et la stratégie n’est pas sans risques.
« Si Kim Jong Un décide de manière unilatérale de mettre fin au moratoire sur les essais – un engagement qui n’est écrit nulle part – il n’y a plus de porte de sortie diplomatique », met en garde Vipin Narang.
Et le souvenir des échanges de menaces et d’insultes entre les deux hommes – – « cinglé », « gâteux », « mentalement dérangé » – a de quoi faire frémir.
Pour faire taire ses détracteurs, Donald Trump pourrait essayer d’arracher une annonce à « Chairman Kim », comme par exemple la promesse du démantèlement du réacteur de Yongbyon, principal complexe atomique nord-coréen.
Quel que soit le regard que l’on pose sur l’approche du 45e président américain sur ce dossier, « il est trop tôt pour célébrer, ou se vanter », résume Michael O’Hanlon.
Grand amateur de superlatifs, le magnat de l’immobilier n’avait pas hésité, une fois rentré à Washington après son voyage à Singapour, à affirmer qu’il n’y avait « plus de menace nucléaire » de la Corée du Nord. « Dormez bien ce soir! », avait-il tweeté, à la stupéfaction générale.
Si le rendez-vous de Hanoï se solde sur un texte aussi vague que celui de Singapour, les détracteurs de l’approche de Trump vis-à-vis d’un régime qu’il qualifiait il y a peu de « dictature cruelle » pourraient donner de la voix, y compris au sein de son équipe.