« Je croyais qu’une fois en France, j’allais étudier, que l’enfer allait s’arrêter », raconte Joy, forcée à se prostituer pour payer son exil. Comme elle, des centaines de jeunes Nigérianes en quête d’une vie meilleure finissent, après un voyage traumatisant, sous la coupe d’un réseau de prostitution.
Dans les rues des grandes villes de France, elles sont aujourd’hui les plus nombreuses, devant les filles de l’Est ou les Chinoises, selon les autorités, et pratiquent les tarifs les plus bas, à partir de 10 euros la passe.
La plupart arrivent d’Italie, où elles ont passé jusqu’à plusieurs années. « Les réseaux nigérians se déplacent vers la France en provenance d’Italie », confirme Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). La lutte contre les mafias nigérianes engagée par le gouvernement italien a forcé ces réseaux à se déplacer vers le Sud-Est de l’Hexagone.
A Marseille (sud-est), où la part des prostituées nigérianes a nettement augmenté ces dernières années, Michel Martinez, chef de la brigade de répression du proxénétisme (BRP), a appris à connaître ces réseaux « très organisés »: « Au pays, les filles sont recrutées par une +madame+, souvent une ancienne prostituée, qui les surveille et les met au travail, tandis que les hommes s’occupent du passage, de la logistique, de récupérer l’argent ».
– « Des invisibles » –
Leur parcours –Niger, Libye puis Italie en général– dure 2-3 mois « pendant lesquels elles sont privées de nourriture, violées, et elles commencent à travailler car elles n’ont pas d’argent pour payer le voyage ». Le prix de l’exode: 50.000 euros en moyenne, qu’elles doivent rembourser en se prostituant.
Happy, qui a aujourd’hui refait sa vie à Marseille, a par exemple laissé derrière elle deux enfants au Nigeria pour fuir un mari violent. Forcée à se prostituer par ses passeurs pour payer son voyage vers l’Europe, elle finit par fuir l’Italie, où elle était « persécutée par la police, les hommes », et traverse les Alpes, enceinte de 8 mois. « C’était terrible », raconte-t-elle en anglais, « j’ai dû grimper, sauter, courir avec mon gros ventre, mais j’y suis arrivée et j’ai sauvé mon bébé ».
Les proxénètes sont très difficiles à « coincer », souligne Michel Martinez: « Ce sont des personnes très peu visibles: elles n’utilisent pas le téléphone, sont très mobiles, changent de perruque, d’adresse, de numéro… Parfois les +madames+ s’échangent même les filles pour brouiller les pistes ».
Pour faire tomber les réseaux, la police s’appuie sur les associations, qui peuvent convaincre les filles de porter plainte. Une démarche « extrêmement délicate » selon Lionel Arsiquaud, éducateur spécialisé de l’association l’Amicale du Nid à Marseille, qui a vu « exploser » les arrivées de Nigérianes, qui représentent maintenant 80% de son public. « C’est d’autant plus difficile qu’elles ne se sentent pas victimes de traite humaine », développe ce travailleur social.