Après avoir mené sa politique commerciale dans l’indifférence pendant des années, l’UE est depuis peu sous le feu des critiques, accusée de délaisser son agriculture, de mépriser l’environnement ou de négliger la santé des Européens, en privilégiant le libre-échange.
Ces reproches ont peu à peu conduit la Commission Juncker, pendant laquelle deux accords commerciaux majeurs avec le Canada (le CETA) et le Japon sont entrés en vigueur, à repenser sa politique, sans parvenir toutefois à convaincre totalement.
A quelques jours des élections européennes, état des lieux d’une politique devenue un enjeu électoral.
– Premières critiques –
Les négociations entamées en 2013 entre Bruxelles et Washington en vue de mettre en place le plus vaste accord de libre-échange de l’histoire, le TTIP, ont cristallisé les critiques et donné naissance à un large mouvement de contestation pan-européen.
Les opposants, qu’il s’agisse d’ONG, d’agriculteurs, de syndicats ou de représentants politiques –en particulier à l’extrême gauche, chez les écologistes ou à l’extrême droite– ont vu dans cet accord un danger pour l’environnement, les normes sanitaires, les services publics et parfois même la démocratie.
L’ouverture des marchés agricoles risquait selon eux de renforcer la concurrence sur un secteur européen fragile.
Ils reprochaient aussi à l’UE un mode de négociation opaque.
Cette fronde, suivie par l’élection de Donald Trump, a rendu impossible la poursuite des discussions sur le TTIP, qui ont été suspendues en 2016.
– Les réponses de Bruxelles –
Après avoir fait la sourde oreille, la Commission a progressivement pris en compte les critiques… surtout quand elle s’est aperçue que l’opposition au TTIP s’était déplacée sur un autre accord, le CETA, avec le Canada.
Elle qui imaginait conclure cet accord sans problème a dû faire face fin 2016 à une mini-crise diplomatique avec Ottawa, la région belge francophone de Wallonie parvenant à bloquer la signature du traité pendant quelques jours.
Ce contretemps a incité Bruxelles à mieux communiquer face aux nombreuses « fake news » liées au commerce –en aucun cas le saumon transgénique ou le boeuf aux hormones ne seront autorisés dans l’UE à cause des accords commerciaux. Mais aussi à revoir sa philosophie: l’UE sera désormais moins « naïve » et plus protectrice (mais pas protectionniste).
La Commission a ainsi lancé les discussions pour mettre en place une cour internationale afin de remplacer les traditionnels tribunaux d’arbitrage privés. Prévus dans les accords de libre-échange afin de trancher les litiges entre un Etat et un investisseur, ces tribunaux sont très critiqués, soupçonnés d’être trop favorables aux entreprises.
Elle n’hésite pas non plus à affirmer qu’elle ne conclura plus de traité avec un pays qui ne respecte pas l’accord de Paris sur le climat.
Problème: Bruxelles est sur le point de négocier un mini-accord commercial (moins vaste que le TTIP) avec les Etats-Unis, qui ont pourtant quitté cet accord.
– Le rôle de la France –
Les critiques envers la politique commerciale européenne sont restées vives en France, où le CETA est régulièrement agité comme un épouvantail par les dirigeants politiques de tous bords et les ONG.
Les agriculteurs français s’inquiètent pour leur part des conséquences d’un éventuel accord avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), que l’UE tente de conclure depuis plusieurs années.
Le président français Emmanuel Macron s’est emparé du sujet, appelant à plusieurs reprises l’UE à revoir sa politique commerciale, notamment en prenant mieux en compte l’environnement.
Dans ce contexte, la France est le seul pays à s’être prononcé contre l’ouverture de nouvelles négociations avec les Etats-Unis, ce qui a beaucoup irrité ses partenaires.
Ce choix a été interprété comme un gage aux écologistes présents sur la liste du parti du président français aux élections européennes.
– La place du Parlement –
L’approbation du Parlement européen est indispensable pour qu’un accord négocié par la Commission au nom des 28 Etats membres puisse entrer en vigueur.
La dernière législature, dominée par la droite, s’est globalement toujours positionnée du côté de la Commission dans ses votes.
Mais les eurodéputés sont parfois parvenus à élargir certaines propositions, par exemple sur la mise en place d’un cadre européen de contrôle des investissements étrangers.
Les reproches de l’opinion ont trouvé un certain écho dans l’hémicycle européen, face à une Commission plus hermétique.
Les eurodéputés d’extrême gauche, et plus encore les écologistes, se sont fait les relais des ONG, même si les problématiques liées au commerce semblent désormais transcender les clivages partisans.