Dans ses clips, « pas de kalachnikov » ni de violence, mais des compas, des statistiques et Pythagore. Professeur dans une banlieue défavorisée de Paris, Radouane Abassi, alias « GTI » ou « Great Teacher Issaba », rappe ses leçons de maths en reprenant Rhoff, PNL ou Kaaris.
« Si aujourd’hui je prends le +cromi+ (micro) c’est pas pour faire le croma (maquereau)/C’est qu’c’est l’moment de parler de probas/Même sur du Jul, j’parle de maths, c’est trop, gars ».
Le phrasé est là – l’autotune aussi -, la gestuelle, le décor des barres d’immeubles: GTI reprend les codes traditionnels du rap dans son écriture comme dans ses vidéos hébergées sur sa chaîne YouTube qui enregistre des centaines de milliers de vues.
Jul, Soprano, Kery James, Sofiane, ou 113, le prof de 32 ans rappe sur les probabilités, les diamètres, Thalès ou les statistiques.
L’enfant de Seine-Saint-Denis, banlieue défavorisée dans le nord de Paris, est né à Figuig, au Maroc.
Bras croisés, regard déterminé, torse bombé, en polo et baskets, il se prête au jeu des photos en habitué devant le collège Jean-Vigo d’Epinay-sur-Seine, qui fait partie du réseau d' »éducation prioritaire » réservé aux territoires qui rencontrent les plus grandes difficultés sociales.
Avec un débit de mitraillette, Radouane Abassi se raconte facilement: « J’ai toujours rappé sur des choses que je vis. Pas de fiction ou de story-telling, mais mon quotidien d’enseignant ».
La première fois, c’était en 2015. Il a sidéré ses élèves en corrigeant leur test en musique. « J’ai lancé l’instru de rap. Ils se sont tous tus. Et à la fin, c’était l’euphorie ».
La méthode n’est pas compliquée : « En classe, on peut cracher du son, il y a un ordinateur dans chaque salle. Ça peut aussi se faire a capella ».
Il précise que sa pédagogie n’est « pas basée » sur le rap. « C’est un outil supplémentaire. Si ça aide 2% des élèves, tant mieux ». « Ces morceaux c’est plus pour des révisions, du réinvestissement ».
– Pas « boloss » –
Il faut à tout prix éviter de tomber dans le ridicule et la caricature : « Rapper sur Pythagore, c’est bouffon, ça fait +boloss+. Mais comme les codes sont bien faits – y’a pas un mec avec une casquette sur le côté qui fait yo yo – ça passe. Ils auraient été les premiers à me tailler, les petits. Ils connaissent le sujet ».
Radouane Abassi avait à cœur de « les sortir du rap des kalash, des cités, le rap assez trash, rude ».
La musique comme outil pédagogique, l’idée n’est pas nouvelle, mais pour Alain Bernard, son formateur à l’École supérieure du professorat et de l’éducation, « plus que la question de la mémorisation, chez lui, il y a une réflexion sur ce qui permet de réconcilier ces enfants avec l’univers scolaire grâce à une culture qui leur est propre ». Notamment « en déjouant les stéréotypes, en tournant en dérision les références à la violence ».
« C’est un vrai prof et un vrai rappeur », souligne-t-il. « C’est clair qu’il pourrait multiplier son salaire par je ne sais pas combien s’il montait sur scène, mais il a un vrai sens du service public ».
Djilali, un de ses élèves de troisième, confirme: « En classe, y’a rien qui change ».
Pas de GTI qui tienne en cours. « Avec les élèves, je reste prof avant d’être rappeur. C’est très carré: ils m’appellent Monsieur, me vouvoient », insiste Radouane Abassi.
Un morceau sur les vecteurs devrait voir le jour prochainement. « Écrit mais pas encore clipé ». Ses vidéos sont léchées, le rendu professionnel : GTI s’auto-produit, rédige lui-même les scenarii de ses clips et les réalise avec des amis.
Il aimerait cette année mettre en place un nouvel exercice avec ses élèves : leur demander une rime, un jeu de mots, une phrase une fois la leçon terminée. « Je garde les meilleurs et j’en fais un son. Ça les force à ouvrir leurs cahiers, c’est un prétexte ».
Comme il le dit dans son morceau « le Cercle » : « Si la tête, tu perds, c’est que t’as pas suivi en cours/ Dommage pour toi, ce rap ne sera pas suffisant pour que t’assimiles toute la leçon/ Mais là, j’ai pas fini, alors ne coupe pas le son ».