Sous les manches longues de son maillot de foot des Lions indomptables du Cameroun, Okole Kingsley tente de cacher les terribles brûlures qui couvrent la moitié droite de son corps. Il erre dans les rues défoncées d’Obili, un quartier de Yaoundé où vivent un grand nombre d’anglophones.
Cet homme de 32 ans cherche de quoi manger mais, ce soir, il est soulagé, car il a un endroit où dormir. Après plusieurs mois dans la rue, une association lui a trouvé un lit chez un jeune traducteur, qui l’héberge depuis deux semaines dans son petit studio coincé au fond d’une ruelle crasseuse.
Okole Kingsley fait partie des 530.000 personnes déplacées par le conflit qui ensanglante les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis deux ans.
La-bas, la population est prise en tenailles dans une guerre sans merci entre des groupes armés, qui réclament l’indépendance de ces territoires où vit la plus grande partie de la minorité anglophone du pays (16%), et les forces armées camerounaises.
Un conflit qui a déjà fait 3.000 morts, dont de nombreux civils, selon des ONG, et a poussé l’inamovible président Paul Biya, qui faisait jusqu’alors preuve d’intransigeance, à concéder un « Grand dialogue national » pour tenter de mettre fin à cette crise meurtrière. En cinq jours seulement…
A Obili, le soleil est écrasant. Des gouttes de sueur perlent sur le visage d’Okole Kingsley. Il y a moins d’un an, il vivait paisiblement avec sa famille à Bwiuku, un village du Sud-Ouest, où il cultivait une parcelle. Tout a basculé un jour de novembre 2018: des hommes armés ont incendié sa maison.
« Ma femme, enceinte de sept mois, est morte dans l’incendie », lâche-t-il froidement, le regard vide. Gravement brûlé, il passe quatre mois cachés dans la brousse avec d’autres villageois en fuite, avant de réussir à rallier Yaoundé. Au début, « j’ai dormi là où je pouvais, dans la rue, autour des églises ».
Il est finalement aidé par l’association, HaRO Cameroon, créé il y a moins d’un an et qui tente à Yaoundé, avec très peu de moyens, de venir en aide aux déplacés.
– Tué par des inconnus –
« Chaque jour, nous recevons entre cinq et 20 personnes, et cela ne fait qu’augmenter », déplore Fritz Kwa Mendi, le responsable de la structure où travaillent douze volontaires, tous anglophones. « Heureusement, la plupart sont accueillis par leur famille ici. Bon nombre, toutefois, se retrouvent dans des situations d’extrême précarité ».
« Il y a beaucoup de déplacés dans les régions limitrophes, mais aussi dans les grandes villes comme Yaoundé ou Douala », la capitale économique, explique Jérôme Fontana, responsable des opérations au Cameroun du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). « Il n’y a pas de camps de déplacés », explique-t-il, « et la solidarité familiale commence à arriver à ses limites ».
Ce matin, Pascaline Ekwe, 24 ans, est venue se faire enregistrer au local. Elle porte sa petite fille de quatre mois. Avec ses trois enfants, elle a fui son village du Sud-Ouest en juillet, deux mois après la mort de son mari « tué par balle par des hommes non identifiés », confie-t-elle, le regard fuyant.
« Seule, j’avais peur, et je voulais que mes deux grands aillent à l’école », dit-elle, en larmes. Près de 80% des écoles ont fermé dans les deux régions anglophones depuis le début du conflit fin 2017.
– Quatorze dans une pièce –
La petite famille trouve finalement refuge à Yaoundé, chez un proche qui accueille déjà dans une pièce dix autres déplacés. « Je ne peux pas travailler car j’ai mon bébé, mais heureusement une femme à l’église m’aide un peu », se lamente Pascaline.
Ces déplacés « sont durablement traumatisés, et ils ont besoin que les séparatistes comme le gouvernement reconnaissent leur souffrance », plaide M. Kwa Mendi. Les civils sont les victimes indirectes des combats mais aussi la cible des crimes et exactions que commettent les deux camps, accusent régulièrement les ONG internationales.
Décentralisation, retour au fédéralisme ou séparation: le débat intéresse peu Okole et Pascaline. « Tout ce que j’espère, c’est que la paix revienne, que l’on reprenne le cours normal de nos vies », confie la jeune femme en donnant le sein à son bébé baptisée Blessing. Bénédiction en français.