Attaques jihadistes continues, entreprise de paix au point mort, contestation sociale… Le président du Mali Ibrahim Boubacar Keïta connaît des temps difficiles et, s’il reste déterminé à redresser le pays, ne paraît plus disposer de beaucoup d’atouts dans son jeu.
Depuis 2012, le Mali a été la proie d’insurrections indépendantistes, salafistes et jihadistes et de violences intercommunautaires qui ont fait des centaines de morts, combattants et civils, et épuisé ce vaste pays et ses 19 millions d’habitants. Le gouvernement vient d’y prolonger l’état d’urgence.
Même dans un tel contexte, une double attaque jihadiste à Boulkessy et Mondoro (centre) début octobre a marqué les esprits et posé plus crûment qu’avant encore la question de la gouvernance et de l’absence d’issue au conflit.
Au moins 40 soldats ont été tués dans la défaite la plus lourde essuyée par l’armée gouvernementale depuis des années, bilan officiel suspecté d’être sous-évalué.
Depuis, des femmes de militaires des bataillons concernés ont battu le pavé, à Bamako et Sévaré (centre), contribuant à réveiller le souvenir du putsch militaire de 2012.
« Quand des femmes de militaires demandent à leurs maris de ne pas aller au front parce qu’ils sont sous-équipés, qu’on évoque dans l’armée des problèmes de corruption, ne peut-on pas se poser des questions ? », s’interroge un diplomate africain à Bamako.
« Aucun coup d’Etat ne prévaudra au Mali », a répondu le président, alias « IBK », élu en août 2013 et réélu l’an dernier.
– Alarmant « paradoxe » –
Mais il y a un « ras-le-bol généralisé des Maliens », estime Nouhoum Sarr, opposant et chef du parti Front africain pour le développement (FAD). « Le devoir de vérité est une exigence et le gouvernement n’arrive pas à communiquer sur ce qui s’est vraiment passé » à Boulkessy.
Le pouvoir se veut rassurant et prêche l’unité nationale derrière son armée. Mais le président malien a reconnu lui-même que « nos moyens deviennent limités » et que « ce qui s’est passé à Boulkessy pourrait malheureusement survenir encore ».
Le pouvoir « semble à court de solutions face aux attaques », pense un diplomate occidental. Les faibles moyens de l’armée et le peu d’emprise de l’Etat sur le territoire renforcent ce sentiment, selon lui.
En outre, les Maliens manifestent contre la présence des forces française et onusienne. Une cinquantaine de conteneurs de l’ONU ont été pillés la semaine passée.
Il y a une « fatigue et une impatience des acteurs nationaux comme internationaux », estime Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études et de sécurité (ISS). Il note un « paradoxe »: « Il y a de plus en plus de moyens alloués au Mali, mais en même temps de plus en plus de violences ».
La grogne est aussi sociale. En août et septembre, les Maliens ont barré les routes. Le moindre déplacement sur un réseau défoncé, à la merci des intempéries, des brigands et des jihadistes, est une épreuve qui catalyse le ressentiment contre un Etat défaillant.
L’insécurité grandissante, conjuguée à l’incertitude politique, à l’avancée du désert et aux inondations de la saison des pluies, a encore aggravé les maux de ce pays pauvre et semi-aride.
– Viser vite et juste –
Reste-t-il beaucoup de cartes au président malien? « Aux yeux de beaucoup, le président n’a plus la poigne qu’on lui connaissait avant son arrivée au pouvoir », pense Moustapha Diallo, professeur de sociologie à l’université de Bamako.
Le pouvoir met en avant le processus en cours de désarmement et d’intégration d’anciens rebelles dans l’armée nationale.
Il invoque ses projets de développement économique. Accompagnant l’effort militaire, il a lancé un dialogue national, censé ramener les Maliens autour de la table et établir une feuille de route inclusive.
Mais une partie de l’opposition a décliné l’invitation. Et le président a fâché certains des groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger de 2015 en ouvrant la porte à une rediscussion de certains termes de cet accord.
« Si on veut que tout le monde participe, il faut clairement dessiner un programme de gouvernement et de gestion pour sortir de la crise », plaide Ousmane Diakité, de l’Union pour la république et la démocratie (URD), parti du principal challenger d’IBK à la dernière présidentielle, Soumaila Cissé, qui a refusé de participer au dialogue.