Au beau milieu du désert de Dubaï, des techniciens reproduisent dans de vastes bassins les courants et les marées de la mer du Nord, pour des saumons qui tournoient par milliers.
Avec sa tour la plus haute du monde, ses îles artificielles en forme de palmier ou sa station de ski couverte, l’émirat de Dubaï n’en est pas à son premier projet ambitieux.
« Mais personne n’aurait pu imaginer qu’on puisse élever des saumons dans le désert », se réjouit Badr ben Moubarak, directeur général de la ferme piscicole « Fish Farm ». Et pourtant, « ça se fait à Dubaï ».
Le saumon, poisson d’eau froide, est habituellement élevé dans de grosses cages installées en mer, au large de la Norvège, de l’Islande, du Royaume-Uni ou du Canada.
« Reproduire un tel environnement a été la chose la plus difficile », raconte M. Moubarak, les températures à Dubaï pouvant atteindre jusqu’à 45°C.
A l’intérieur de la ferme, située dans le sud de l’émirat, le débit et la température de l’eau sont contrôlés pour créer les conditions optimales à la croissance des milliers de saumons.
« On reproduit (la lumière) des levers et couchers du soleil, mais aussi les marées, les courants forts ou ceux d’une simple rivière, des eaux peu et très profondes », explique le jeune homme d’affaires, en robe traditionnelle blanche.
– « Sécurité alimentaire » –
Le saumon naît en eau douce, mais vit en eau salée avant de retourner en eau douce pour frayer. L’eau salée utilisée par la ferme dubaïote provient du Golfe mais est filtrée.
Le projet a été lancé en 2013 avec le soutien du prince héritier de Dubaï, cheikh Hamdane ben Mohammed ben Rached Al-Maktoum, pour élever du saumon et d’autres poissons comme la sériole japonaise, utilisée dans la préparation de sushis.
Pour démarrer, la ferme a acheté quelque 40.000 alevins d’une écloserie en Ecosse et des milliers d’oeufs supplémentaires en Islande afin de les élever dans ses bassins. La reproduction se fait actuellement sur place.
En raison des défis techniques, la ferme piscicole produit, pour l’instant, essentiellement du saumon distribué à Dubaï et dans le reste des Emirats arabes unis, précise M. Moubarak.
« Aujourd’hui, les Emirats importent environ 92% de leurs besoins en poissons et l’objectif est de pouvoir répondre (à la demande) afin d’assurer notre sécurité alimentaire », affirme-t-il.
Selon la Chambre de commerce et de l’industrie de Dubaï, le volume du commerce des produits de la mer aux Emirats a atteint 2,58 milliards de dirhams (636 millions d’euros) en 2017 et le pays a importé pour 2,3 milliards de dirhams (567 millions d’euros) de poissons, de crustacés et de mollusques.
La ferme piscicole espère satisfaire au moins 50% des besoins du pays d’ici deux ans, rapporte M. Moubarak.
– « Préoccupations » écologiques –
La « Fish Farm » se veut également respectueuse de l’environnement et envisage de passer à l’énergie solaire, notamment en raison du prix élevé de l’électricité.
Dans le monde, les avantages et les inconvénients de la pisciculture font débat.
« Il y a des préoccupations concernant le bien-être des animaux et le fait de les garder dans des bassins alors que normalement ils nagent librement dans les mers et les rivières », explique Jessica Sinclair Taylor de Feedback Global, une ONG environnementale basée à Londres.
« Il y a aussi des préoccupations liées à la consommation d’énergie et donc aux émissions de CO2 », ajoute-t-elle.
Mais l’élevage terrestre empêche d’un autre côté la pollution de l’eau des lacs et des mers, où les déchets des élevages traditionnels de saumon peuvent endommager les écosystèmes marins, poursuit-elle.
Produit de l’élevage, le saumon de la « Fish Farm » est pourtant estampillé « 100% bio » en raison de l’alimentation naturelle des poissons et de l’absence d’antibiotiques. En avril, l’entreprise a commencé à distribuer ses produits dans les supermarchés.
« C’est plus cher mais je pense à la qualité. J’ai essayé différents saumons et c’est le moins gras. Ma famille le préfère », confie Katja, une Allemande vivant à Dubaï.
Selon cette expatriée, les Emirats « font de gros efforts pour produire localement non seulement du poisson, mais aussi des légumes. Je pense que je devrais vraiment soutenir cela ».