« Révolution » antigaspillage ou manoeuvre marketing d’une industrie polluante ? L’équipementier allemand Adidas, qui ambitionne de lancer au printemps 2021 une paire de baskets 100% recyclable, symbolise la volonté des fabricants de chaussures de conquérir les consommateurs « écolos » en transformant leur mode de production.
Du blanc au dégradé de bleu: sept mois après avoir présenté sa Futurecraft Loop, « première chaussure » recyclable à l’infini, Adidas vient de lancer la deuxième phase de ce projet ambitionnant de créer un modèle « circulaire », où les « running » usagées donnent naissance à de nouvelles paires.
« De la génération 1 à la génération 2, on s’est prouvé à nous-mêmes, et au grand public, qu’il était possible d’éliminer totalement les déchets et le gaspillage », explique David Quass, directeur « business model » d’Adidas.
« La révolution, non encore vue dans l’industrie auparavant, est qu’on peut maintenir la qualité du matériau d’une chaussure à l’autre, en répondant aux mêmes exigences » de performance, ajoute-t-il.
Par quel procédé ? Une technique d’assemblage par fusion de billes de polyuréthane thermoplastique (TPU), permettant de réduire le nombre de composants différents « à 4-5 contre 70 auparavant » pour une chaussure classique, tout en éliminant « la glue » liant la tige à la semelle. Une prouesse rendue possible grâce à un partenariat avec le géant de la chimie BASF.
– « S’adapter » à la demande verte –
Avec la montée grandissante de l’écologie dans les consciences citoyennes, d’autres fabricants comme Eram, Salomon ou la jeune pousse TBS se sont également lancés sur le créneau de la durabilité pour « s’adapter » à cette demande verte, exprimée notamment par les nouvelles générations.
Selon une étude du cabinet Nielsen réalisée en 2017, 85% des « Millenials », la tranche d’âge des 21-34 ans, estiment qu’il est « extrêmement important » que les entreprises élaborent des programmes en faveur de la protection de l’environnement.
Au point de constituer une nouvelle piste de croissance dans ce marché estimé à 114 milliards d’euros en 2018, selon le cabinet NPD ? « Cela peut en effet nous ouvrir à d’autres segments de clients, à d’autres publics », confirme David Quass.
Pourtant, cette exigence éco-responsable ne se concrétise pas encore dans l’acte d’achat final des consommateurs. « Il y a un côté paradoxal », explique Virgile Caillet, délégué général de l’Union sport et cycle, qui représente 1.400 entreprises de la filière sport et loisirs en France.
S’ils « montent en puissance », « les critères d’achat environnementaux se situent en 5e ou 6e position, les critères déterminants étant d’abord le confort, le prix, puis la solidité », développe-t-il.
Or si Adidas ne souhaite pas que sa Loop soit « un produit de luxe », l’entreprise admet sans dévoiler le prix exact qu’elle sera vendue à la hauteur de ses produits haut de gamme, soit un coût compris entre 200 et 300 euros par paire.
– La location « par abonnement », piste à l’étude –
Au vu du tarif et d’une production en série qui s’annonce limitée à « plusieurs milliers de paires » –ne goutte d’eau comparé aux 400 millions produites chaque année par la marque–, ce projet est-il davantage destiné à une opération de communication (« green-washing ») qu’au développement d’une piste commerciale prometteuse ?
« Ce n’est pas pour +green-washer+ mais pour changer. Ce n’est jamais trop tôt, ni trop tard, d’initier le changement dans la manière de produire dans cette industrie, construite il y a plusieurs décennies », répond David Quass.
Malgré d’autres initiatives en ce sens depuis plus de trois ans, comme par exemple l’association avec Parley (recyclage du plastique dans les océans), Adidas a toutefois envoyé des signaux contradictoires avec la délocalisation d’une partie de sa production en Asie. Une annonce survenue mi-novembre, quelques jours avant l’officialisation de la phase 2 de Futurecraft Loop.
« Cela nous a vraiment surpris », souligne Samah Habib, spécialiste mode chez Accenture, auprès du site du magazine Challenges. « L’empreinte carbone est certainement impactée. Cela ne va pas dans le sens de l’histoire qu’ils ont essayé de raconter il y a trois années. »
De quoi remettre en cause la transformation réelle d’un modèle économique fondé sur le principe du « acheter-jeter » ?
« Sur le plan législatif désormais, il y n’aura plus le choix pour les industriels », rappelle Virgile Caillet, en référence au projet de loi antigaspillage du gouvernement français, qui envisage la structuration d’une filière de recyclage des articles de sports.
Loop peut « déverouiller une manière différente de s’engager avec le consommateur, via des nouveaux modèles économiques comme le renvoi du produit ou l’exploration de la location par abonnement », renchérit David Quass. Des pistes « potentielles » déjà novatrices en soi.