En début d’année, les jeunes Soudanais étaient dans les rues de Khartoum pour porter la révolution. Des mois plus tard, des centaines y sont de retour pour tenter de résoudre un problème de la vie quotidienne, celui de l’engorgement des transports en commun.
Pénuries de carburant et de pièces détachées pour réparer les autobus délabrés, embouteillages et routes défoncées: la crise des transports, chronique au Soudan, a empiré depuis la révolte populaire qui a mené en avril à la chute d’Omar el-Béchir.
Comme la plupart des autres services publics, ces transports, déjà peu reluisants, ont du mal à fonctionner efficacement depuis. Et les opérateurs privés sont de plus en plus nombreux à mettre la clé sous la porte, la chute de la livre soudanaise ayant rendu l’importation et l’achat de certaines pièces de bus trop coûteux.
Les mauvais jours, Khartoum, ville de quatre millions d’habitants, est proche de la paralysie, tandis qu’au bord des routes, des hordes de passagers épuisés se disputent les rares places disponibles au moment de monter dans les bus.
Cette question est devenue un défi majeur pour le gouvernement de transition d’Abdallah Hamdok, un ancien économiste de l’ONU nommé Premier ministre en août, après la destitution par l’armée de M. Béchir, qui a dirigé le pays pendant 30 ans d’une main de fer.
Celui-ci est emprisonné, et jugé à Khartoum, pour corruption uniquement.
« Nous sommes descendus dans la rue pour manifester », observe Ruqaya al-Nour, 24 ans, étudiante à l’Université de Khartoum, « et nous avons maintenant un gouvernement civil, mais toujours pas de solution à cette crise » des transports.
Les manifestations qui ont abouti au changement de pouvoir avaient débuté en décembre dernier sur des questions de coût et de qualité de la vie.
« Est-ce que cette crise des transports va durer éternellement? Est-ce qu’on va continuer à souffrir? », s’interroge la jeune femme, qui doit marcher des kilomètres chaque jour pour se rendre à ses cours.
– « Les gars m’ont obligé » –
Des centaines d’autres jeunes, pour beaucoup anciens manifestants pleins d’enthousiasme, ont décidé de redescendre dans la rue, dans l’espoir à présent d’aider les malheureux usagers des transports en commun, qui doivent presque se battre quotidiennement pour regagner leur domicile.
Les militants se postent au bord des routes aux heures de pointe, et interpellent automobilistes et chauffeurs de cars pour les convaincre d’accepter d’autres passagers.
« Vous rentrez chez vous, prenez deux personnes! », s’époumone un volontaire au bord de la route. De fait, de nombreux automobilistes obtempèrent.
Ruqaya fait les comptes: « Si chaque voiture particulière emmène une ou deux personnes, la crise sera terminée ».
Les personnes âgées sont les plus durement touchées. « Je ne peux pas courir… Ca fait deux heures que j’attends », se lamente Hajj Abou Ahmed, qui patiente en costume traditionnel devant la grande mosquée de Bahri, au nord de Khartoum. Il a vu « plusieurs bus passer » sans pouvoir les prendre et il n’a « pas d’argent pour prendre le taxi ou un pousse-pousse ».
« Les femmes, les enfants et les handicapés sont prioritaires », explique à l’AFP Hassan Seifeddine, 27 ans, un des volontaires.
Souvent, ces derniers obligent les cars privés à changer d’itinéraire pour mieux ramener les gens chez eux.
« Je me dirigeais vers Masrif, mais les gars m’ont obligé à aller à Koubri », un autre quartier dans une toute autre direction, constate un conducteur de car.
Les jeunes volontaires demandent au gouvernement de prendre des mesures pour mettre fin à la crise, avec des slogans comme « nouvelles voitures, nouveaux bus, je le jure, je le jure, nous les aurons! ».
Le Premier ministre s’est engagé à importer de nouveaux bus, ainsi que des pièces détachées pour réparer les anciens, et à faire remettre les routes en état.
En attendant, son gouvernement a décidé dimanche de se joindre au mouvement de solidarité: tous les véhicules des ministères et des services d’Etat devront dorénavant accepter de transporter gratuitement des passagers lambda.