En Centrafrique à l’histoire tourmentée, la destitution du président malien Ibrahim Boubacar Keïta par une junte militaire a ravivé de mauvais souvenirs dans un pays marqué par les coups d’Etat à répétition depuis 1960 et encore largement sous la coupe de milices armées.
Pickups bardés de soldats en armes, blindés et ambulance filant toutes sirènes hurlantes sur des avenues fermées à la circulation. Le moindre déplacement du président centrafricain Faustin Archange Touadéra illustre la fragilité d’un Etat qui se remet à grand-peine du dernier putsch, en 2013.
La Séléka, coalition de milices à dominante musulmane, avait alors déferlé sur Bangui et renversé François Bozizé, plongeant le pays dans une spirale de violences communautaires qui sévit toujours, sept ans après.
« Nous avons une armée qui est politisée. Des signes de frustration se font sentir dans la population. Le syndrome malien peut se reproduire ici », s’inquiète Edgard Kette-Djama, enseignant à Bangui.
« Seuls des esprits chagrins osent la comparaison avec le Mali », s’agace au contraire Éric Sorongope, chef du Mouvement national de Solidarité (MNS), un parti de la majorité présidentielle.
Mais à quatre mois d’élections présidentielle et législatives à haut risque, M. Touadéra, élu en 2016, n’a pas réussi à endiguer la corruption qui gangrène le pays, ni à chasser les groupes armés qui contrôlent encore deux tiers du territoire.
– ONU critiquée-
Nombre de civils sont toujours victimes des milices, malgré un accord de paix en 2019 et la présence de 11.600 Casques bleus de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca).
« En 2013, il y avait déjà les forces de la Fomac (Force multinationale de l’Afrique centrale) et les soldats sud-africains, mais ils n’ont pas réussi à arrêter les rebelles », se rappelle Barnabas Badiwi, prêtre à la retraite.
Comme au Mali, la présence des Casques bleus est contestée par la population, qui leur reproche majoritairement leur passivité face aux milices. « Les leaders des groupes armés pensent désormais que la présence de l’ONU n’est pas un obstacle au renversement du pouvoir de Bangui par la violence », juge Nathalia Dukhan, chercheuse pour l’ONG américaine anticorruption The Sentry.
Mais le mandat de la mission de l’ONU n’est pas le même qu’au Mali, et lui permet théoriquement d’intervenir pour protéger les institutions. « La préservation de l’ordre constitutionnel est un maillon essentiel de l’action de la Minusca », veut croire Hans De Marie Heungoup, analyste de l’International Crisis Group (ICG).
Gardé par des Casques bleus rwandais et des agents de sécurité russes, le palais de la Renaissance du président opposerait une sérieuse résistance à des rebelles ou à des mutins d’une armée démunie et soumise à un embargo international sur les armes.
Mais si une attaque coordonnée comme en 2013 paraît peu probable, le contexte politique fait craindre d’autres scénarios: attentat contre le chef de l’Etat, insurrection populaire pilotée par l’opposition…
– Ancien putschiste –
Issu d’une ethnie minoritaire et sans base électorale, M. Touadéra a été forcé de composer avec les clans qui se disputent la scène politique pour arriver au pouvoir. Il peut compter sur une machine électorale conséquente et le soutien de la Russie, mais le « professeur » est fragilisé.
Les inquiétudes de la majorité présidentielle se focalisent sur l’ancien président François Bozizé. Il affiche, il est vrai, un CV marqué dans ce sens: en 2003, il avait renversé Ange-Félix Patassé après plusieurs tentatives infructueuses de coups d’Etat, pour être déchu à son tour en 2013.
Revenu à Bangui en décembre 2019 après sept années d’exil et candidat à la présidentielle, M. Bozizé se présente en « homme de paix ». Sans rassurer ses adversaires.
Membre de l’ethnie Gbaya, majoritaire, il jouit d’importants soutiens dans l’armée et les milices chrétiennes antibalaka qui avaient contribué à ensanglanter le pays en prenant les armes contre la Séléka en 2013 et 2014.
En mars, plusieurs cadres de la mouvance antibalaka ont été arrêtés, officiellementpour avoir tenu une réunion « non autorisée » au domicile d’un ministre. Quelques jours plus tard, des officiers proches de Bozizé avaient été interpellés à Bangui, et des armes de guerre saisies sur eux, selon le parquet.
De là à envisager un passage à l’acte ? « Il existe une branche dure du KNK qui multiplie les contacts avec les groupes armés », avertit une source diplomatique à propos du parti Kwa Na Kwa de M. Bozizé. « Le pouvoir utilise aussi la peur du coup d’Etat pour discréditer François Bozizé », tempère M. Heungoup.
Reste, pour d’éventuels putschistes, à gagner la bataille d’une opinion fatiguée par les crises à répétition. M. Touadera, pourtant peu populaire, n’a jamais fait face à une contestation de l’ampleur des manifestations au Mali.