Depuis quelques mois, de petites machines sont apparues dans les centres-commerciaux de Saint-Pétersbourg. Il suffit d’insérer son passeport pour obtenir aussitôt un micro-crédit, au taux prohibitif de 365% annuel, symptôme d’une fièvre de l’endettement qui inquiète les autorités.
La population russe, au pouvoir d’achat toujours très faible et en baisse continue depuis plusieurs années, contracte de plus en plus de crédits pour ses achats ou tout simplement pour boucler les fins de mois.
La croissance spectaculaire du crédit depuis 18 mois atteint un tel niveau que le ministre de l’Economie a dit craindre l’explosion d’une bulle susceptible de provoquer une récession.
Mais le sujet est très sensible: limiter l’octroi de crédits, c’est priver des ménages d’une source de revenus parfois vitale et risquer de ralentir encore une croissance déjà atone.
« La situation pourrait devenir explosive en 2021 », a averti le ministre Maxime Orechkine fin juillet sur la radio Echo Moskvy, affirmant que des mesures étaient en préparation pour aider la population étranglée par les dettes.
Selon lui, l’endettement des ménages en crédit à la consommation a grimpé de 25% l’année dernière et représente désormais 1.800 milliards de roubles, soit près de 25 milliards d’euros au taux actuel.
Pour un tiers des ménages endettés, a-t-il précisé, le remboursement des crédits dévore plus de 60% des revenus mensuels, poussant beaucoup à contracter de nouveaux crédits pour rembourser les anciens.
« Le niveau de crédits non-immobilier en Russie atteint actuellement 9% du PIB. A titre de comparaison, il est de 10-15% en Europe de l’est. Mais en Russie cela est plus inquiétant car les revenus réels n’ont pas augmenté depuis trois ans », a déclaré Natalia Orlova, économiste en chef d’Alfa Bank.
Selon elle, l’inquiétude vient de la solvabilité des ménages endettés: « la dette n’est pas répartie de manière uniforme, elle est contractée notamment par les ménages à faibles revenus, moins susceptibles de la rembourser. Les ménages à revenus élevés et moyens, les +bons emprunteurs+, évitent de s’endetter ».
– « Les gens n’ont pas d’argent » –
La situation a provoqué des frictions exprimées publiquement avec la banque centrale, le gouvernement l’accusant entre les lignes de laisser aller.
Selon Natalia Orlova, la progression de ces crédits constitue « le principal facteur de soutien de la croissance »: « Resserrer des conditions de crédit pourrait nuire immédiatement à la croissance ».
Or, l’activité économique a déjà connu un brusque coup de frein en début d’année après les reprises de 2017 et 2018, avec une hausse du produit intérieur brut de seulement 0,7% sur un an au premier semestre.
Un résultat bien inférieur à l’objectif de croissance fixé par Vladimir Poutine, autour de 4% par an, difficile à atteindre alors que le pays est frappé depuis 2014 par des sanctions économiques européennes et américaines sans précédent en raison notamment de la crise ukrainienne.
Avec ses 19 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, la Russie a grand besoin de développement.
« Le problème, c’est que les gens n’ont pas d’argent, donc ils prennent des crédits. C’est pour ça que l’on sent physiquement la trépidation des autorités financières et économiques », résumait le politologue Andreï Kolesnikov, du centre Carnegie dans un récent article.
Il décrit une économie en bout de course, n’ayant d’autre recours que de « prendre de l’argent supplémentaire auprès de la population et le dépenser pour des objectifs désignés par l’Etat, tels que les projets nationaux ».
La TVA a été augmentée en début d’année, une mesure très impopulaire mais présentée comme nécessaire alors que Vladimir Poutine a annoncé en début de mandat l’an dernier d’ambitieux « projets nationaux ».
Déclinés en douze catégories dont la santé et les infrastructures, leur coût approche les 400 milliards de dollars d’ici à 2024, dont 115 milliards doivent venir d’investissements privés, russes ou étrangers.
« Que faire si la bulle éclate soudain? Comment les gens réagiront-ils? Ils resteront sans argent alors que les autorités prévoient par exemple de construire une autoroute extrêmement chère, dont l’exploitation sera inévitablement non rentable », critique M. Kolesnikov.
L’expert cite des projets grandioses, à portée patriotique, récemment annoncés par des autorités à la popularité languissante: un pont reliant l’île de Sakhaline au continent dans l’Extrême-Orient russe ou la création d’un « Vatican russe » à Serguiev Possad, haut-lieu de la spiritualité orthodoxe au nord de Moscou.
« Cela a un coût diabolique », relève-t-il.