Ce sera l’un des chefs d’Etat les plus attendus. La présence lundi à Paris de Vladimir Poutine pour l’hommage à Jacques Chirac rappelle des jours meilleurs dans les relations franco-russes, que l’Elysée cherche justement à relancer.
Entre l’arrivée de Poutine en 1999 et le départ de Chirac en 2007, les deux hommes ont entretenu des liens amicaux aux sommets de la politique internationale, s’opposant notamment en 2003, avec l’Allemagne de Gerhard Schröder, à l’invasion de l’Irak par Washington.
Alors que Nicolas Sarkozy, l »Américain » à l’origine du retour de Paris dans le commandement intégré de l’OTAN, critiquait son prédécesseur pour « avoir serré la pogne » de Poutine, Chirac s’inscrivait, lui, dans une certaine tradition gaulliste et non-atlantiste.
Après l’annonce du décès de l’ancien président français, le maître du Kremlin n’a d’ailleurs pas manqué de saluer une personnalité « sage et visionnaire », chez qui il admirait « l’intelligence et les grandes connaissances ».
« C’est un véritable intellectuel, un vrai professeur », avait-il affirmé en juin lors d’une interview au Financial Times. Il y qualifiait même l’ancien maire de Paris de dirigeant l’ayant « le plus impressionné » dans sa carrière.
Pour expliquer cette relation privilégiée, Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, évoque la stature « d’homme d’expérience » que représentait alors Jacques Chirac, face au jeune président russe inexpérimenté, propulsé au pouvoir par Boris Eltsine.
Signe de cette relation de confiance, Vladimir Poutine avait invité Jacques Chirac en 2004 sur des installations militaires secrètes près de Moscou, un honneur extrêmement rare pour un dirigeant étranger. La russophilie affichée de l’ancien président français, qui se piquait d’avoir traduit dans sa jeunesse le poète russe Alexandre Pouchkine, expliquait également ces bonnes relations.
« Poutine l’appréciait sur le plan personnel car Chirac n’a jamais souffert de cette fameuse arrogance française », ajoute Iouri Roubinski, ancien diplomate et directeur du Centre de recherches françaises de l’Institut Europe à Moscou, interrogé par le site russe Novyi Prospekt.
En 2006, l’ex-président français avait remis la Légion d’honneur à M. Poutine.
– « Bonne chose » –
Surtout, les relations entre Poutine et Chirac ont été marquées par un moment important de rapprochement entre Paris et Moscou : l’opposition à la guerre en Irak. « L’axe Berlin, Paris, Moscou était alors quelque chose de très fort », rappelle le chercheur Igor Delanoë.
Pour l’expert Iouri Roubinski, la position de Paris sur l’Irak en 2003 se rapproche d’ailleurs de celle d’Emmanuel Macron sur l’Iran. Soutenu par Moscou, le président français est actuellement à la manœuvre pour sauver l’accord sur le programme nucléaire de Téhéran, menacé après le départ annoncé de Washington.
Ces derniers mois, Emmanuel Macron a également multiplié les gestes vers Moscou, appuyant, entres autres, le retour en juin de la Russie à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Fin août, il a reçu très chaleureusement Vladimir Poutine dans sa résidence du Fort de Brégançon, où l’ancien officier du KGB, tout sourire, a passé beaucoup plus de temps que prévu.
Lors de son discours annuel aux ambassadeurs, Emmanuel Macron a aussi appelé avec force à un rapprochement avec la Russie, se distinguant ainsi nettement de François Hollande, qui avait pris ses distances avec Moscou.
Après le succès en septembre d’un échange de prisonniers en Ukraine, soutenu activement par l’Elysée, les négociations se concentrent désormais sur l’organisation cet automne d’un nouveau « sommet Normandie » (Paris, Moscou, Berlin et Kiev) pour faire avancer le processus de paix dans l’est ukrainien, au point mort depuis 2015.
Si le conflit en Ukraine s’apaisait, le président français a même laissé entendre qu’il ne s’opposerait pas à un retour de la Russie au sein du G8. Diplomatiquement, Emmanuel Macron ne mentionne plus l’annexion de la Crimée par Moscou.
Dans cette configuration, la visite de Poutine à Paris tombe à point nommé. « Le cadre de l’hommage à Jacques Chirac n’est pas propice à une réunion de travail, mais dans ce contexte, c’est toujours une bonne chose », estime Igor Delanoë.
L’expert tient néanmoins à distinguer cette période des années Chirac. « A l’époque, la Russie était relativement affaiblie et Poutine n’avait pas encore mis en place son projet de puissance. Aujourd’hui, il vaut mieux avancer pas à pas dans une direction, sans avoir d’attentes énormes ».