Les députés kirghizes ont voté jeudi la levée de l’immunité de l’ex-président Almazbek Atambaïev, inculpé pour corruption, une nouvelle étape dans la crise politique née de la rivalité entre le chef de l’Etat actuel et son prédécesseur.
Un total de 103 députés kirghizes d’un Parlement en majorité loyal au président actuel Sooronbaï Jeenbekov, ancien allié devenu rival de M. Atambaïev, ont voté en faveur de cette mesure, seulement six ayant voté contre.
Almazbek Atambaïev, président jusqu’en novembre 2017, a été inculpé mardi par la justice kirghize, qui avait demandé la levée de son immunité.
Ce vote pourrait provoquer de graves troubles au Kirghizstan, ex-république soviétique d’Asie centrale secouée par deux révolutions en 2005 et 2010 et de fréquentes tensions ethniques, alors que l’ex-président Atambaïev a dénoncé une manoeuvre politique et annoncé son intention de ne pas se laisser faire.
Il est entre autres soupçonné « d’acquisition illégale de terres » et d’avoir fait libérer un membre d’un clan mafieux, a indiqué jeudi devant les parlementaires le procureur général kirghize, Otkourbek Djamchitov, qui a précisé que les actions pénales pouvaient désormais commencer.
Dans un communiqué publié mercredi, Almazbek Atambaïev a dénoncé des accusations « absurdes » et reproché à son successeur d’avoir ouvert « le règne de l’arbitraire et de l’anarchie ». « Il est évident que la vague soulevée se retournera contre Jeenbekov et son monstrueux clan familial », a-t-il ajouté.
En avril, le Parlement avait voté un texte rendant le président responsable devant la loi des infractions commises pendant son mandat, une fois qu’il a rendu le pouvoir. Cette loi était considérée comme une mesure destinée à accentuer la pression sur Almazbek Atambaïev, devenu un critique virulent de Sooronbaï Jeenbekov.
« Je n’ai peur de rien sur cette planète. J’ai été emprisonné, j’ai subi des attaques, j’ai été empoisonné », a déclaré mercredi M. Atambaïev à des journalistes depuis sa résidence dans le village de Koï-Tach, près de la capitale Bichkek, ajoutant être prêt à « rester debout jusqu’à la fin » pour défendre son honneur.
– Ses partisans prêts à se battre –
Plusieurs centaines de ses partisans s’étaient réunis mercredi devant sa résidence, beaucoup affirmant être prêts à se battre pour l’ex-président kirghiz, au pouvoir de 2011 à 2017.
« Je ne pouvais pas rester chez moi et contempler cette menace du gouvernement. Nous nous battrons s’ils nous attaquent », a déclaré Rinat Djancharov, 36 ans, qui affirme avoir parcouru 300 kilomètres pour venir défendre M. Atambaïev.
L’élection de M. Jeenbekov avait permis la première passation de pouvoir pacifique entre deux présidents élus au Kirghizstan, considéré comme le pays le plus démocratique d’Asie centrale mais théâtre de troubles politiques récurrents.
A la fin de son mandat, Almazbek Atambaïev avait réussi au prix de manoeuvres politiques à imposer la candidature de son poulain Sooronbaï Jeenbekov, tandis que le principal candidat de l’opposition faisait face à des affaires criminelles ouvertes contre lui.
Des tensions sont rapidement apparues entre les deux hommes, Almazbek Atambaïev critiquant plusieurs nominations effectuées par Sooronbaï Jeenbekov. De son côté, M. Jeenbekov a démis de leurs fonctions plusieurs hauts fonctionnaires proches de l’ancien président Atambaïev.
Des tentions ethniques pourraient aussi émerger de ce conflit entre Sooronbaï Jeenbekov, originaire du sud du Kirghizstan, et Almazbek Atambaïev qui vient du nord.
Mercredi, ce dernier a regretté que la présidence de Jeenbekov ait élargi le fossé « qui n’était (jusqu’alors) pas un problème » entre ces deux régions. Les détracteurs d’Almazbek Atambaïev l’accusent pour leur part d’opportunisme et d’exploiter cet antagonisme Nord-Sud à des fins politiques.
De hautes montagnes divisent géographiquement le Kirghizstan entre le nord, urbanisé et relativement prospère, et le sud pauvre, plus rural, où vivent d’importantes minorités ouzbèkes et tadjikes.