La relation entre les Etats-Unis et la Chine est devenue sous Donald Trump une rivalité tendue, très éloignée de l’approche douce des Occidentaux jusqu’ici, risquant de fracturer le monde suivant des lignes pour l’heure illisibles, selon des experts.
De la guerre commerciale (et ses pourparlers de paix samedi à Washington) aux tensions en mer de Chine, « nous sommes entrés dans une période de rivalité forte et de long terme entre la Chine et le Etats-Unis », estime Alice Ekman, responsable Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
« Un changement de paradigme est à l’œuvre dans la politique américaine, avec des implications majeures pour la relation bilatérale la plus importante du monde, et au-delà, pour la sécurité globale », juge Brahma Chellaney, professeur au think tank indien Center for Policy Research.
« De Richard Nixon à Barack Obama, les présidents américains successifs ont aidé à l’émergence de la Chine comme pouvoir économique », rappelle-t-il.
Tout change avec Donald Trump. Après avoir dynamité l’ordre multilatéral dominé par les Occidentaux depuis l’après-guerre, le président américain a lancé le deuxième étage de sa fusée géopolitique: se confronter à une Chine de plus en plus conquérante, notamment par une guerre commerciale féroce, en imposant d’importants droits de douanes, et en estimant que la politique de conciliation des précédents présidents a été néfaste.
Le changement américain est profond et « va durer au-delà » de la présidence de Donald Trump, selon M. Chellaney, car il y a « un consensus à Washington, que la politique antérieure d’+engagement constructif+ (nom de la politique du président Clinton, NDLR) avec la Chine a échoué et doit être remplacée » par une ligne plus dure.
Pour Trump, « l’erreur fatale, c’est l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 », explique Jean-François Di Meglio, président du cabinet français Asia Centre.
« Les années précédant 2001, nous avions une administration chinoise qui jouait le jeu de l’occidentalisation, conduisant les Etats-Unis et l’UE à se dire: +donnons leur plus que le bénéfice du doute, ouvrons leur la porte, donnons leur le statut d’économie émergente » dans l’OMC, rappelle-t-il.
« La Chine prend ça comme une énorme victoire. C’est à partir de 2001 que les excédents commerciaux explosent et que les réserves en devise de Pékin deviennent considérables », selon lui.
– Vers deux mondes parallèles –
Pour l’instant, la politique de Donald Trump ne semble pas avoir de conséquences néfastes massives pour les Etats-Unis. Pour autant, ce n’est pas sans risque, vu la puissance économique chinoise et la forte extension de son influence géopolitique mondiale.
« Humilier les Chinois (…) ça veut dire exposer les successeurs (de Donald Trump) à un énorme problème avec la Chine, qui n’est pas la Corée du Nord, le Japon, le Canada, l’Europe ou le Mexique », autant d’acteurs géopolitiques de calibre inférieur que Trump malmène sans trop de problèmes, selon M. Di Meglio.
Et même si la guerre commerciale ne dégénère pas, les semences de la discorde sont nombreuses, sans forcément verser dans le « piège de Thucidyde », ce concept théorisé par l’Américain Graham Allison qui voudrait que toute puissance émergente entre inévitablement en conflit à un moment donné avec la puissance dominante, idée qui n’enthousiasme pas les experts.
« A long terme, il est possible d’anticiper l’émergence de deux pôles rivaux », de « deux formes distinctes de mondialisation », juge Mme Ekman, chacun emmené par son leader et suivant deux voies parallèles.
« La polarisation des relations internationales générerait ainsi une nouvelle forme de compétitions entre réseaux d’infrastructures, normes, institutions internationales, etc », selon elle.
« Si vous faites un satellite en Europe pour la Chine, vous êtes obligés de remplacer tous les composants qui pourraient servir aux Américains. Imaginez la même chose dans la téléphonie, l’automobile, dans plein de secteurs, et vous avec une fracturation du monde avec des lignes qu’on ne peut dessiner », pour M. Di Meglio. « Vont-elles passer en Allemagne ? En Europe centrale ? En Asie centrale ? »
Dans ce schéma, pour Mme Ekman: « Les autres pays auraient le choix de l’offre, orienté par leurs préférences politiques, leurs proximités géographiques et leurs vulnérabilités économiques à l’un ou à l’autre des deux pays ».