Le français Canal +, l’américain Netflix, mais aussi le chinois StarTimes ou depuis plus longtemps les Sud-africains de MultiChoice font les yeux doux au cinéma nigérian, deuxième industrie cinématographique au monde, derrière Bollywood, avec plus de 2.500 films produits par an.
« Les recettes du box office nigérian sont passées de 17,3 millions à 23,6 millions de dollars entre 2017 et 2018 » (+36%), explique Chijoke Uwaegbute, analyste dans le secteur du divertissement pour PriceWaterhouseCoopers.
« Nulle part dans le monde, vous ne trouverez des opportunités et une croissance pareilles », conclut le consultant devant un public d’investisseurs, de réalisateurs nigérians ou de politiques de l’Etat de Lagos.
Début juillet, se tenaient les premières journées « French-Nigerian Cinema Days » à Lagos, capitale culturelle du continent africain, avec une centaine d’invités.
« Depuis deux ans environ, on commence à voir de l’intérêt du côté français pour le cinéma nigérian », note Serge Noukoué, fondateur de la Nollywood Week, festival organisé chaque année à Paris depuis 2012.
– Immense succès –
Canal + s’intéressait déjà à Nollywood en proposant à ses abonnés africains francophones Nollywood TV, une chaîne dont l’immense succès, avec sa cousine anglophone Africa Magic, proposée par le géant sud-africain Multichoice, confirme l’engouement pour ce cinéma « africain qui parle aux Africains. »
La mauvaise qualité du son, des images, voire même de l’intrigue n’étant visiblement pas un frein à l’immense succès de Nollywood, « cela n’a pas encouragé les investisseurs à augmenter les budgets des films », écrit Alessandro Jedlowski, spécialiste du cinéma africain pour l’Université Libre de Bruxelles.
Les films de Nollywood sont bien souvent tournés en quelques jours, avec quelques milliers d’euros, et victimes d’un piratage des droits d’auteur qui a longtemps paralysé l’industrie.
Mais un bon nombre de films ont cartonné ces dernières années au box office dans les rares salles obscures du pays: The Wedding Party 1 et 2 de la réalisatrice Kemi Adetiba ont généré plus de 2 millions de dollars de revenus, battant pour la première fois dans l’histoire du pays les scores des blockbusters américains.
La comédie Chief Daddy de Niyi Akinmolayan a fait quelque 236 millions de nairas (580.000 euros) d’entrées en 2018.
On reste loin des scores dans les pays du Nord et la route vers les marches des Oscars reste longue. Mais pour la première fois il semble que les classes moyenne et supérieure, seules à pouvoir se payer un ticket d’entrée dans les 52 cinémas du pays (pour 190 millions d’habitants), soient de moins en moins réticentes à payer pour aller voir « un Nollywood ».
Au box office nigérian, Nollywood était il y a encore quelques années à 5% derrière les grosses productions américaines. Aujourd’hui, il se situe aux alentours de 30%.
– Films plus haut de gamme –
Ce sont les films plus haut de gamme qui intéressent désormais les producteurs étrangers.
Les salles Canal Olympia, les salles de cinéma et de concerts du groupe Vivendi qui se propagent aux quatre coins du continent, proposent au moins « un Nollywood par semaine » dans sa programmation.
Le groupe ouvrira l’an prochain deux salles au Nigeria, un pays où il est toujours difficile d’implanter ce genre de projets en raison des coûts du terrain ou du manque d’électricité, mais un pays incontournable avec pour l’instant un écran de cinéma pour un million d’habitants.
« Être proche de Nollywood, c’est très important pour nous », confie Simon Minkowski, directeur stratégie et développement pour Canal Olympia. « Mais en plus de la diffusion, il y a vrai appétit pour produire des contenus par les Africains en Afrique ».
C’est ce que fait Canal + depuis quatre ans en Afrique francophone.
« Le contenu et la ligne éditoriale des chaînes Canal Afrique se veut plus proche des pays africains », explique Laurent Sicouri, directeur des acquisitions pour Canal + International, de passage à Lagos, « pour évaluer la production » du cinéma nigérian.
« C’est sûr que la France a quelque chose à faire au Nigeria. On ne peut tout simplement pas négliger un pays qui produit 2.500 films par an », explique Eric Garandeau, consultant et ancien directeur du CNC (Centre national du cinéma).
Mais pour l’instant, « l’obsession » des réalisateurs lagossiens se tourne davantage vers le géant américain Netflix, qui a commencé à proposer des films nigérians sur son catalogue et s’est même lancé dans la production de contenu avec LionHeart de Genevieve Nnaji.
« Maintenant que Nollywood attire les investisseurs, il faut que les Nigérians apprennent à mieux protéger leurs intérêts pour qu’il n’y ait pas une pure exploitation de leur contenu », nuance Serge Noukoué. « Pour l’instant, ils vendent à Netflix et c’est fini. »