Un mois après le coup d’Etat militaire qui a déposé le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », le Mali se cherche un avenir, avec l’espoir d’un nouveau départ et la crainte de répéter les erreurs qui l’enfoncent depuis des années dans la crise.
Enseignant à l’Université de Ségou (centre) et chercheur post-doctorant en sciences politiques, Lamine Savané voudrait que la transition qui se dessine avant le retour promis des civils au pouvoir soit l’occasion de rompre avec les vieilles pratiques mêlant corruption, clientélisme et intérêts particuliers. Mais il s’alarme de voir persister, malgré l’acuité des maux maliens, les calculs personnels à courte vue caractérisant selon lui une « crise de moralité » politique.
Q: Le discrédit politique est au coeur des frustrations qui ont mené à un coup d’Etat en 2012 et le 18 août. Comment y remédier ?
R: La question du renouvellement des hommes et de l’opposition entre les aînés et la jeunesse est moins importante que celle du renouvellement des mentalités. Ce qui est réellement en cause dans les critiques populaires réside plus dans les pratiques du champ politique que dans l’âge des hommes.
Aujourd’hui, la seule préoccupation de tous ces acteurs politiques, jeunes comme aînés, est l’appât du poste, pour l’utiliser dans un but privé et lucratif.
Chaque acteur politique a un agenda particulier, propre, et pas forcément patriotique. Il suffit de regarder le M5-RFP (Mouvement du 5-Juin/ Rassemblement des forces patriotiques, qui a mené pendant des mois la contestation dans la rue contre l’ancien président, NDLR), qui se tire des balles dans le pied car les uns voient les positionnements des autres pour être nommés plus tard.
Le désordre politique est institutionnalisé car il arrange ceux qui sont au pouvoir.
Malheureusement, on a l’impression que l’on est en train de refaire les mêmes erreurs. Toute la classe politique sait que le sort du prochain président élu se joue maintenant. Et chacun sait que le ou les partis qui auront une influence durant la transition seront assurés de sortir gagnants aux prochaines élections.
C’est comme si on avait oublié que 75% du territoire était occupé. C’est d’une tristesse inouïe de voir les gens à Bamako batailler pour les 25% du territoire qui reste alors qu’il y a tant à faire sur les 75 autres (les trois quarts du Mali passent pour être sous le contrôle de forces locales, de jihadistes ou de trafiquants, NDLR).
Q: Justement, pour éviter de répéter les erreurs commises après le coup d’Etat de 2012, qui a débouché sur sept ans d’une présidence Keïta très décriée, à quoi faut-il s’attaquer prioritairement ?
R: Le vrai problème est la question de l’impunité et de l’injustice.
Par exemple, concernant les deux personnes parmi les plus décriées du régime IBK, Moussa Diawara (chef des renseignements) et Karim Keïta (fils de l’ex-président): on ne sait pas où est le premier, et le second est à l’étranger.
Ces gens-là ne sont pas inquiétés. Cela pose la question de savoir si ceux qui ont pris le pouvoir veulent vraiment changer les choses. En 2012, (le militaire putschiste Amadou) Sanogo disait qu’il avait pris le pouvoir pour répondre aux problèmes du nord du pays. Mais il a fait pire et s’est enrichi.
Q: Ce cycle peut-il être enrayé ?
R: Il faut que les critères de recrutement soient égaux pour tout le monde, et ne dépendent plus de votre relation à untel ou de votre famille.
Le Mali ne pourra pas décoller tant que tout le monde continuera de transformer la petite parcelle dont il doit s’occuper en un patrimoine privé. Du policier au politique.
Je pense que l’impulsion doit venir d’en haut, du leadership qui sera mis en place durant la transition et ensuite. Pour que la masse soit exemplaire, il faut qu’elle sache que le sommet est exemplaire.
Il y a une crise de la moralité au Mali, cela prendra du temps à changer cela, mais il faut le changer ».