Faire cohabiter un nord néerlandophone ancré à droite et un sud francophone qui vote à gauche relève du casse-tête: la Belgique vit depuis un an sans gouvernement. Dans une certaine indifférence.
« Rien d’anormal », « on est habitués », « on ne voit pas de différence »: ce matin-là les passants interrogés dans le quartier européen de Bruxelles relativisent la supposée crise traversée par l’Etat fédéral belge depuis décembre 2018.
Ils se disent commerçants, travailleurs indépendants du spectacle, nés Belges ou d’origine étrangère, peu politisés, et plutôt philosophes. « C’est la belgitude », sourit Odile, costumière dans la capitale.
« Avec ou sans gouvernement, la paix sociale est là, respect! », lâche Reda, un Belgo-Marocain en recherche d’emploi, qui préfère aussi taire son nom.
C’est le 18 décembre 2018 que le Premier ministre en exercice depuis 2014, le libéral francophone Charles Michel, a annoncé la démission de son gouvernement. Une conséquence du départ du premier parti de Flandre, les nationalistes de la N-VA, en désaccord sur la question migratoire.
Résultat: un attelage tripartite de centre-droit s’est retrouvé à gérer les affaires courantes, privé de majorité au Parlement. Il est dirigé par une femme, Sophie Wilmès, la première au poste de Premier ministre.
Les élections législatives du 26 mai ont compliqué la donne avec la nette progression des « anti-establishment » (extrême droite au nord, extrême gauche au sud), au détriment des partis traditionnels, tous affaiblis.
Et vu les difficultés que rencontrent les différents responsables chargés par le roi d’accorder les points de vue, le pays va passer un second Noël sans nouvelle coalition aux manettes.
Cela signifie l’impossibilité pour l’exécutif de faire voter un budget annuel, alors que le déficit public attendu autour de 11 milliards d’euros en 2020 écarte la Belgique des clous européens.
Financement de la protection sociale, de la justice, de l’armée, politique de l’asile: des compétences essentielles relèvent encore de l’Etat fédéral malgré les forts pouvoirs attribués aux entités fédérées (éducation, culture, allocations familiales etc).
– Possible retour aux urnes –
La gestion à court terme, « c’est embêtant, on perd du temps », a admis récemment dans le quotidien Le Soir le patron de la Défense belge, le général Marc Compernol, empêché d’investir et de recruter faute de cadre légal.
Tout le monde se demande combien de temps le « court-termisme » va durer. Voire même si les aspirations divergentes des Flamands et des Wallons ne signifient pas la fin prochaine de l’Etat fédéral.
« Il n’y a rien à débattre entre le nord et le sud du pays. On doit préparer un repas et le frigo est vide », s’est alarmé fin novembre le constitutionnaliste francophone Marc Uyttendaele, parlant de crise inédite « depuis des décennies ».
Un sentiment que ne partage pas le politologue flamand Dave Sinardet, pour qui la vraie « crise existentielle » fut celle des 541 jours sans gouvernement en 2010-2011, un record.
A l’époque, « on parlait davantage de scission, il y avait vraiment une crise autour du fait qu’on devait négocier une nouvelle réforme de l’Etat, préalablement à la formation d’un gouvernement », explique-t-il à l’AFP.
Sur le total de 541 jours, poursuit M. Sinardet, « on a passé 485 jours » sur cette sixième réforme de l’Etat, octroyant davantage de compétences aux régions et communautés linguistiques.
Pourquoi alors le blocage actuel ? Parce que la percée des écologistes et des extrêmes aux dernières législatives a accentué le morcellement du paysage et sacrément compliqué la constitution des coalitions autrefois « évidentes », selon ce politologue, « une tendance qu’on observe ailleurs en Europe ».
Aujourd’hui en Belgique seul le Parti socialiste dirigé par Paul Magnette, première formation côté francophone, apparaît incontournable dans une future coalition.
Reste à savoir -c’est la question lancinante depuis six mois- si le PS acceptera de composer avec la N-VA de Bart De Wever, son pire adversaire. Ou si la droite flamande sera prête à laisser les nationalistes dans l’opposition pour s’engager dans une coalition « arc-en-ciel » autour des familles libérales, socialistes et écologistes.
Troisième scénario possible en cas d’impasse: un retour aux urnes début 2020.