Son manager et ami proche, Redface, n’en croit pas ses yeux. Il rafraîchit en boucle le profil Instagram de Teni, la chanteuse nigériane la plus en vogue: « Non mais regardez! J’ai posté cette vidéo il y a 30 minutes et il y a déjà 47.000 vues! C’est incroyable! »
Personne n’aurait pu imaginer le succès fulgurant de cette jeune femme de 26 ans, auto-proclamée « vice-présidente de l’association mondiale des grosses » et qui préfère les joggings aux mini-jupes ou les bonnets sur la tête aux perruques bien lissées.
Dans ce pays paternaliste, conservateur et religieux, personne n’aurait pu prédire que « Teni, The Entertainer » (Teni l’artiste) allait devenir la super-star féministe que le Nigeria attendait tant.
Personne, sauf elle.
Ayant grandi dans une famille de musiciens, Teniola Apata a commencé les percussions à l’âge de 2 ans. A 4 ans, elle se produisait déjà devant des gouverneurs de l’ouest yorouba du Nigeria, dont elle est originaire.
« Si vous m’enlevez la musique, je meurs », assure-t-elle.
Aujourd’hui, tout le Nigeria ou presque entonne les paroles de ses tubes « Case », « Uyo Meyo » ou « Askamaya ». Son compte Instagram dépasse le 1,5 million d’abonnés et ses vidéos sur YouTube frôlent les 10 millions de vues.
Mais ne lui parlez pas de succès. « Attendez que je remplisse le stade de Wembley à Londres » et que « l’Amérique du Sud connaisse les paroles de mes chansons. Là, vous pourrez dire que je suis une star. »
Une modestie toute nigériane.
« Dieu m’a fait un don. Il m’a faite différente des autres pour une raison », se vante-t-elle. « Pourquoi devrais-je priver le monde de mon talent ? »
– Talons aiguilles vs baskets –
Différente des autres stars féminines de l’afro-pop, elle l’est, sans nul doute.
Si sa soeur Neniola, autre grand nom de la musique nigériane, ne se déplace jamais sans ses immenses talons aiguilles, ses faux-cils et ses longs ongles manucurés, Teni, elle, jouait « au foot et au basket ».
« Même quand on était petites, elle a toujours fait la diva », dit Teni de sa soeur, avec affection.
A ses yeux, « le plus grand combat dans la vie, c’est de savoir être soi-même ».
Aujourd’hui elle tourne son côté garçon manqué en dérision, mais on se doute que le chemin de l’acceptation n’a pas dû être facile dans un pays où, dit-elle, « les femmes sont des citoyens de seconde zone ».
Dans son tube « Case », elle assure à la personne aimée qu’elle ferait tout pour elle: qu’elle pourrait « tabasser le chef de gang du quartier », « mettre une claque à un policier » ou « mettre un pain à un juge ».
« Pour toi, bébé, je partirais même en guerre », promet-elle. Homme ou femme ? Le doute plane irrémédiablement et elle l’entretient sans jamais donner de réponse.
Elle représente tout ce que la femme n’est pas censée être au Nigeria. Cela en fait-elle une féministe ? Elle hésite. « Est-ce que le terme humaniste existe plutôt? », s’interroge-t-elle.
« Moi, je veux juste que tout le monde soit traité de manière égale. Les hommes, les femmes, les riches, les pauvres. Je veux qu’on traite un petit employé de la même manière qu’on me traite ».
– « Super talentueuse » –
Ce discours proche des gens n’est pas commun dans le monde de la musique africaine, où bien des chanteurs préfèrent exhiber leurs jets privés et leurs pendentifs en diamants plutôt que leur empathie envers la plèbe. Et pourtant, contre toute attente, ça fonctionne.
Lors du Gidi Fest, l’un des plus grands festivals de musique africaine contemporaine qui se tient chaque année à Lagos, des milliers de spectateurs l’acclament alors qu’elle grimpe quatre par quatre, en baskets, les marches de la scène géante.
« Bonsoir Lagos! » Le public l’adore. Les femmes, « parce qu’elle s’assume », les hommes, « parce qu’elle est drôle ».
« Ensemble, ce soir, nous allons dire bye bye aux petits amis inutiles », annonce la chanteuse. « Bye Bye petit ami radin. Bye Bye petite amie profiteuse. Au nom de Jésus-Christ ».
La foule répond « Amen! » puis se lance dans un Shaku Shaku, nouvelle danse à la mode en Afrique, les pieds dans le sable.
« Teni est l’une des artistes les plus tendance du moment », raconte Chin Okeke, co-fondateur du Gidi Fest. « Elle est vraiment géniale, super talentueuse, avec une belle voix et une belle présence sur scène. »
Partout, le même public reprend les paroles de ses chansons en choeur.
« Je l’ai vue en concert à Accra, au Ghana ou à Port Harcourt. Et c’est vraiment incroyable. Tout ce que tu associes aux chanteuses au Nigeria, elle est le contraire », abonde Oris Aigbokhaevbolo, journaliste musical pour le site de référence Music in Africa.
« Elle n’est pas hyper belle, pas hyper riche. C’est juste une fille normale. Les gens l’adorent, parce qu’elle est comme nous. »