Certains ont rompu avec leur famille ou connaissances pro-Trump. D’autres ont déserté les réseaux sociaux et s’interdisent de parler politique. D’autres encore ont vu des blessures psychologiques rouvertes par la présidence Trump.
Derrière les manifestations à répétition dans des bastions démocrates comme New York ou la colère dont regorgent les réseaux sociaux, la présidence Trump a causé de multiples tensions personnelles et psychologiques, peu débattues publiquement mais révélatrices des divisions du pays, à un an de la présidentielle 2020.
Ruth, une architecte de l’Arizona qui demande à taire son vrai nom, dit être de ces démocrates qui rejettent Donald Trump « de tout (son) corps ».
Quand cette sexagénaire a découvert en 2016 que deux de ses amis de longue date soutenaient Donald Trump, elle a été « mortifiée ».
« Je me suis vraiment pris la tête pour voir comment j’allais gérer notre amitié », a-t-elle raconté. Finalement, « j’ai décidé que je ne pouvais pas les rejeter complètement (..). On est toujours amis, mais moins proches ».
« C’est très démoralisant. Mais il y aura toujours un obstacle entre nous maintenant ».
Cody Mayers, jeune informaticien de Caroline du Nord, a raconté sur le forum en ligne Quora comment, après qu’il eut posté une vidéo anti-Trump, lui et sa compagne s’étaient brouillés avec le père de cette dernière.
Aujourd’hui, il dit ne plus vouloir en parler, pour ne pas « rouvrir des blessures ».
– « Déprimant »
Souvent, ces personnes s’efforcent d’éviter des ruptures radicales et s’auto-censurent en se gardant de parler politique.
Comme Donna Ramil, qui travaille à l’université de Cornell, au nord de New York: elle se dit désormais sur ses gardes, cherchant à cerner les opinions politiques de ses interlocuteurs avant toute conversation approfondie.
« On ne parle plus politique, c’est si toxique. On ne sait pas qui pense quoi », souligne-t-elle. « C’est fou, c’est déprimant. »
« Autrefois on blaguait sur la politique, des gens qui savaient que j’étais démocrate pouvaient me coller un autocollant républicain dans le dos, on en riait. Si quelqu’un faisait ça aujourd’hui, je le prendrais très mal. »
Jacqueline Daly, retraitée et catholique pratiquante new-yorkaise, a renoncé à parler politique avec ses amis de la paroisse, « en majorité pro-Trump », pour ne pas les perdre.
« On a eu parfois des échanges houleux, sur l’immigration, les enfants enfermés dans des cages à la frontière (…) Après quelques minutes, on voit bien que personne ne changera d’avis, alors on arrête ».
La plupart disent avoir abandonné Facebook: « le problème des réseaux sociaux, c’est qu’on voit vraiment qui sont les gens, et je ne veux plus le voir », dit Brigid Beachler, collègue de Donna Ramil.
« Cela va au-delà de la politique et touche toute la société, les gens souffrent », analyse Darrell West, auteur d’un ouvrage sur les divisions de l’Amérique sorti en mars.
En préparant ce livre, « j’ai été sidéré par la foule de témoignages d’inconnus, racontant combien leur famille avait été affectée par ces divisions », explique ce démocrate qui a gardé de bonnes relations avec ses soeurs pro-Trump.
« Ca ne date pas de Trump, mais ça s’est aggravé avec lui ».
– Traumatisé par Trump
Plus grave peut-être que ces tensions relationnelles, certains témoignent de souffrances psychologiques aggravées depuis 2016.
Betty Teng, psychothérapeute new-yorkaise, compte parmi ses patients des victimes d’agressions sexuelles aux symptômes ravivés par la présidence Trump, dit-elle.
L’entrée à la Maison Blanche d’un homme qui s’est vanté, dans une vidéo rendue publique juste avant la présidentielle 2016, de pouvoir agresser des femmes en toute impunité, a rouvert certaines blessures, selon elle.
Même chose en 2018, avec la bataille politique autour des accusations d’agression sexuelle de la psychologue Christine Blasey Ford contre le juge Brett Kavanaugh, nommé à la Cour Suprême.
M. Trump « complique notre travail » fustige Mme Teng, décrivant des patients à vif.
Les plus vulnérables sont les migrants ou les personnes issues de minorités raciales, religieuses ou sexuelles, souvent ciblées par le gouvernement Trump et ses partisans, dit-elle.
« Quiconque a été victimisé par le comportement injuste d’une personne en position d’autorité qui n’a jamais eu à rendre des comptes, risque d’être traumatisé par Trump », souligne aussi Matt Aibel, psychanalyste à Manhattan.
Pour lui qui suit surtout des Blancs de milieux privilégiés, non directement visés par Trump, l’élection de 2016 a montré que le climat politique « peut avoir un impact psychique puissant ». Et que la politique, bien que « longtemps tabou » en psychanalyse, peut être abordée en consultation.
Ce psychanalyste juge également le climat politique actuel très mauvais pour la santé mentale.
« Qui peut rester sain et équilibré dans ce contexte? A part le dalaï-lama, je ne vois pas ».