Créer dès 2020 une monnaie commune aux pays d’Afrique de l’Ouest et, pour certains d’entre eux, tourner la page d’un franc CFA aux accents coloniaux, aurait une portée symbolique forte.
Mais ce choix, soumis samedi aux dirigeants de l’organisation intergouvernementale régionale, la Cédéao, réunis en sommet à Abuja, paraît précipité et aurait des conséquences incertaines, qui pèseront pendant des décennies, selon des experts.
« Ce serait se lancer dans le vide », estime Ndongo Samba Sylla, économiste à Dakar de la fondation Rosa Luxembourg.
Comme pour l’euro, « il s’agit là d’un choix politique », avec « les conséquences à subir par les générations futures », estime pour sa part Abdourahmane Sarr, ancien expert monétaire au Fonds monétaire international (FMI) et fondateur du Centre d’étude pour le financement du développement local (Cefdel), basé à Dakar.
Pour les militants panafricanistes, la sortie de la zone CFA, monnaie de 8 des 15 pays de la Cédéao, serait la concrétisation d’un vieux rêve.
Mais la monnaie imaginée depuis une trentaine d’années par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, « ne constitue pas la meilleure voie à suivre », selon M. Sylla.
– Inconvénients congénitaux –
Lors de leur sommet, les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao pourront s’appuyer sur les conclusions de travaux préparatoires adoptées le 18 juin à Abidjan.
Symboliquement, la Cédéao a dégagé un « consensus » sur le nom de la future monnaie, l’éco, préféré à afri et kola.
Ils ont également opté pour un « régime de change flexible » par rapport aux monnaies internationales, assorti d’une politique monétaire centrée sur la maîtrise de l’inflation.
Mais ils ont aussi souligné que les pays de la Cédéao devraient redoubler d’efforts s’ils veulent lancer une monnaie commune en 2020, comme décidé par la Cédéao, notant qu’aucun de ses 15 Etats membres ne respecte les « critères de convergences » retenus, proches de ceux qui avaient présidé à la création de l’euro il y a une vingtaine d’années.
Le respect de ces critères – inflation, déficit budgétaire… – est pourtant une « condition sine qua non pour la création d’une union monétaire crédible », ont averti les experts et ministres réunis il y a dix jours dans la capitale économique ivoirienne.
Abdourahmane Sarr estime que les dirigeants ouest-africains devront trancher: soit reporter l’échéance, soit renoncer au régime de change flexible qui leur est proposé.
Selon lui, les huit pays qui utilisent le franc, dont la parité avec l’euro est fixe, « n’ont pas d’intérêt économique à entrer dans une monnaie Cédéao si cette dernière ne doit à court terme que refléter un panier de monnaies » de référence, ce qui reviendrait à élargir la zone CFA.
Pas plus qu’ils ne gagneraient à intégrer « à moyen terme une monnaie flexible qui ne refléterait pas leurs fondamentaux, ni leurs orientations économiques et politiques divergentes ».
Même s’il peut à terme fluctuer, l’éco « aurait les mêmes inconvénients congénitaux que l’euro, dominé par l’Allemagne et ne correspondant pas à la monnaie qu’il faut pour le Grèce par exemple », souligne l’ancien expert du FMI.
– Le Nigeria en patron ? –
Les études montrent le peu d’intégration à ce stade des économies de ces 15 pays: échanges commerciaux intrazone de l’ordre de 10%, faible mobilité des travailleurs, infrastructures déficientes et manque de spécialisation des secteurs de production, notamment.
Une monnaie unique n’est pas une priorité, affirme Andrew S. Nevin, économiste en chef au cabinet PWC Afrique de l’Ouest, basé à Lagos. Selon lui, « la possibilité de faire des échanges entre les pays, chacun dans sa propre monnaie, est plus importante », en plus du développement des infrastructures.
En outre, la future zone monétaire serait dominée par le Nigeria, pays pétrolier représentant les deux tiers du PIB de la région et la moitié de sa population. « On voit mal le Nigeria accepter d’être dans une union monétaire dont il ne serait pas le patron », souligne Ndongo Samba Sylla.
La politique monétaire s’alignera probablement sur les besoins du Nigeria, qui risquent de ne pas être « synchrones » avec ceux des autres pays, selon le chercheur de la fondation Rosa Luxembourg.
Incapables de jouer sur les taux d’intérêt ou de dévaluer leur monnaie, et en l’absence de mécanismes de solidarité budgétaire entre pays riches et en crise, ces derniers n’auraient pas d’autres choix en cas de choc internes ou externe que de mener des politiques d’austérité, selon M. Sylla.
Côté politique, le Nigeria semble avoir levé ses réserves à l’égard de la monnaie unique. Mais il exige toujours des pays de la zone franc un « plan de divorce » vis-à-vis du Trésor français où les pays de la zone franc ont l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change.