Surnommée le « Game of Thrones » musulman, la série turque « Résurrection: Ertugrul », phénomène au Pakistan durant le ramadan, est plébiscitée par le Premier ministre pakistanais, témoignage de la montée en puissance de la diplomatie culturelle voulue par Ankara.
Cette fresque en cinq saisons à la production léchée, qui met des personnages historiques du monde musulman sous les projecteurs, est devenue incontournable durant le mois saint, qui s’achèvera dimanche ou lundi, selon l’apparition d’une nouvelle lune.
Les frasques d’Ertugrul, père d’Osman Bey, le fondateur de l’empire ottoman, qui à son apogée au XVIIe siècle allait d’Alger à Bagdad, en passant par La Mecque ou encore Budapest, ont été vues plus de 240 millions de fois sur YouTube dans leur version ourdoue, la langue officielle au Pakistan.
« La réaction a été incroyable. C’est vraiment génial de voir comment la série trouve un écho auprès des locuteurs ourdous », s’enthousiasme Riyaad Minty, directeur numérique de TRT, la télévision publique turque, qui l’a produite.
PTV, qui la diffuse, peut de son côté se targuer d’une audimat cinq fois supérieur à la normale… quand la télévision publique pakistanaise est abonnée aux audiences confidentielles, particulièrement durant le ramadan, où elle montre surtout des quiz et autres contenus religieux.
Après la rupture du jeûne, Hassam Mustafa, comme des millions d’autres, est ainsi collé chaque soir à son petit écran, entouré de neveux et nièces : « je préfère regarder la série avec des enfants, pour qu’ils aient de vrais héros, et non des super héros de fiction. »
« Ce feuilleton historique turc nous a permis d’échapper aux séries pakistanaises stéréotypées », où les relations houleuses entre des mères dominatrices et leurs belles-filles servent de principal fil rouge, se réjouit-il.
– ‘Valeurs de l’Islam’ –
Le pari du Premier ministre Imran Khan est remporté, lui qui a donné instruction à PTV de diffuser « Résurrection : Ertugrul » car « les valeurs de l’Islam » y sont « soulignées ».
« Notre culture est aussi imprégnée de romantisme et d’histoire », a-t-il récemment lancé, décriant une trop grande influence d’Hollywood et Bollywood dans la population pakistanaise, quand « les obscénités » sont omniprésentes dans le cinéma indien et que le Pakistan reçoit « le pire » des productions américaines.
« Cela a un impact très négatif sur nos enfants », « promeut la culture de la drogue et fait croître les crimes sexuels » dans le pays, a encore critiqué Imran Khan.
Plus chastes, les séries turques sont diffusées au kilomètre au Pakistan. Des dizaines de soaps operas made in Anatolie ont précédé « Résurrection: Ertugrul ». Une chaîne privée pakistanaise est même entièrement dédiée aux séries turques.
La culture, via ces productions télévisées, est devenue un important vecteur de soft power pour Ankara, dont « Résurrection : Ertugrul » est une « puissante incarnation », estime Michael Kugelman, un spécialiste de l’Asie du Sud pour le Wilson Center, un centre de recherche américain.
– ‘Solidarité pan-musulmane’ –
La Turquie est « menée par un homme fort mais elle connaît un déficit majeur en terme d’image », que sa production audiovisuelle permet de combler, analyse-t-il, quand « beaucoup au Pakistan soutiennent fortement la solidarité pan-musulmane » et « l’Islam politique », dont le président turc Recep Tayyip Erdogan est un tenant.
Ces dernières années, Ankara est ainsi devenu l’un des principaux partenaires d’Islamabad sur la scène internationale. En 2018, alors que la Pakistan était menacé d’être placé sur une liste noire des pays soutenant le terrorisme, il a pu bénéficier du soutien turc.
La Turquie appuie aussi le Pakistan dans le conflit qui l’oppose à l’Inde au sujet du Cachemire. MM. Khan et Erdogan partagent par ailleurs des vues communes sur la question de l’islamophobie.
Mais la diplomatie culturelle d’Ankara ne fait pas l’unanimité dans le monde musulman, même si ses séries y sont appréciées par des millions de personnes.
La justice égyptienne, craignant que la Turquie ne cherche à faire revivre l’Empire ottoman et à gouverner le monde arabo-musulman, a ainsi interdit « Résurrection : Ertugrul ».
L’Arabie Saoudite a de son côté empêché sa télévision d’État de diffuser tout feuilleton turc en 2018, quand les relations entre Ankara et Ryad étaient au plus mal.
Mais la romance audiovisuelle pakistano-turque, elle, ne semble pas prête de s’arrêter. Imran Khan aurait ainsi jeté son dévolu sur une autre série turque, « Yunus Emre », selon Faisal Javed Khan, un cadre de son parti.
La veine historico-religieuse est là encore privilégiée. « Yunus était un poète islamique, un mystique et un pauvre villageois. C’est l’histoire d’un grand soufi entièrement dédié à Allah », décrivait-il début mai sur Twitter.